Maria Baqué, le souvenir réfugié

Mémoire de l'exode espagnol et du camp d'internement de la Seconde Guerre mondiale 

Maria a écrit ses mémoires Maria Baqué ou la liberté envers et contre tout qu'elle a dédicacé et transmis à ses enfants et petits-enfants. C'est avec volonté qu'elle nous  témoigne son souvenir de la Rétirada, l'exode espagnol durant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que son expérience du camp d'internement, de Gurs ou de Rivesaltes par exemple. Elle manifeste ainsi une autobiographie transgénérationnelle, celle qui traverse les générations, qui construit l'identité familiale et témoigne d'une mémoire traumatique à reconstituer.

 

C'est au travers du voyage mémoriel qu'elle fit découvrir son parcours de réfugiée à son fils et sa belle-fille. Ils visitèrent la ruine du camp de Rivesaltes en 1994 et la reconstitution du camp d'Argeles sur Mer et de Gurs qui réveillèrent leur mémoire sensible. 

 

Maria Baqué, 2014

Maman et moi avons donc pris le train à Barcelone pour arriver près de la frontière espagnole. Sur place, nous avons retrouvé le passeur qui devait nous guider à travers la montagne.

 

Nous avons attendu la nuit et sommes parties, chacune avec un petit baluchon ; il était hors de question d’emmener toutes nos affaires, ma mère avait cependant pris la précaution de conserver quelques photos de famille que je possède toujours à l’heure actuelle.

 

Photographies de famille, 1939-1945

 

Nous avons marché toute la nuit, quasiment sans nous arrêter. Je me rappelle que nous étions avec une dame qui avait un petit garçon. Cette maman devait faire très attention à ce que son fils soit silencieux. 

Or, si à mon âge je pouvais comprendre la nécessité de ne pas faire de bruit, il était bien plus difficile pour un petit garçon d’un an et demi de se taire pendant des heures. Il a fallu que sa maman le porte contre elle toute la nuit, essayant de le faire dormir pour ne pas alerter les carabiniers. 

 

Articles de journaux sur la Retirada, pochette à documents de Maria

Le passeur nous avez bien prévenu, si on croise la police je ne vous connais pas. Ce qui était logique car il cherchait à se protéger. Par chance, nous n’avons croisé personne.

 

Enfin, le matin est arrivé et avec lui la fin du voyage. Nous étions très fatiguées. Marcher toute une nuit était un sacré effort pour moi qui n’avais que sept ans.

 

L'EXIL, Nicolas Joosten, 2004
L'EXIL, Nicolas Joosten, 2004

Nous sommes arrivées coté français au petit village de La Manère et je me rappelle que ma mère a glissé sur l’herbe mouillée, elle est tombée et a roulé longtemps sur la pente du talus. Heureusement, elle ne s’est pas blessée. 

 

Nous étions enfin en France !

 

La liberté envers et contre tout. Maria Baqué. 2004


Mémoire de la Retirada et du camp d'Argeles-sur-mer

En attendant que mon père trouve du travail, mes parents ont pensé que la meilleure solution était de rejoindre le camp de concentration d'Argelès. Papa pensait y trouver de l'aide. Nous ignorions tout des conditions de vie dans ce camp. Mes parents croyaient y être Libres.

Ce fut loin d'être le cas !

Mémoire du camp d'internement espagnol

Rivesaltes

Le camp de Rivesaltes était lui aussi situé en bordure de mer. Je me souvienqu'avec la tramontane qui souff1ait très fort, nous étions souvent obligés de nous tenir baissés tellement le sable porté par le vent nous giflait lejambes. C’était affreux comme ça piquait ! La vie dans le camp s’organisait autour d'une routine monotone où chacufaisait de son mieux pour supporter la situation. 

Parcours mémoriel du camp de Rivesaltes en 2004, reconstitution de la mémoire de Maria

La plupart du temps, les enfants étaient livrés à eux-mêmes et s'inventaient des jeux. Tous les jours, des filles plus âgées, ayant été scolarisées en Espagne, nous enseignaient les bases de la lecture et de l'écriture espagnole. Elles nous apprenaient également des pièces de théâtre et des chants. Ces adolescentes faisaient de leur mieux pour essayer de nous donner un minimum d'instruction afin que nous ne soyons pas complètement analphabètes en sortant des camps. Ce qui était plu que nécessaire car à mon arrivée en France j'avais sept ans et demi et ne savais ni lire, ni écrire.

Gurs


Nous avions le droit d’envoyer des lettres à l’extérieur mais ces courriers étaient censurés, il était défendu de parler des conditions de vie à l’intérieur des camps. Pourtant certains hommes bravaient l’interdiction. En punition, ils étaient battus par les gardes qui contraignaient alors les femmes et les enfants à se rassembler près du grillage en bord de route et à regarder le camp des hommes de l’autre coté. Les gardes nous obligeaient à assister à la scène pour qu’elle nous « serve de leçon «  et pour nous dissuader d’en faire autant. Un jour, ils nt pris l’un de ces hommes pour le frapper. Courageux, celui-ci leur a tenu tête ; ils l’ont battu à mort. Le prisonnier est resté étendu sur le sol sous nos yeux. Imaginez le choc et le traumatisme pour une enfant de mon âge…

Remémoration du camp de Gurs, visite de la famille Baqué, 2004

Les menus au camp étaient essentiellement constitués de rutabagas, topinambours et navets bouillis. S’y ajoutaient les carottes et les betteraves normalement destinées au bétail. Chaque jour, nous avions droit à une tranche de pain et deux cuillérées de sucre en poudre par personne. Quelqu’un passait tous les matins nous faire la distribution.  Je n’aimais pas du tout les légumes bouillis et ne les mangeais pas, je me contentais de ma tranche de pain et du sucre. Ma mère me laissait sa ration et mangeait mes légumes. Elle a maigri jusqu'à ne peser que trente-deux kilos.

 

Sous-alimentées, les mamans n'avaient plus de lait pour allaiter leur bébé et presque tous les nourrissons mouraient. Les adolescents subissaient le même sort ; ayant de plus gros besoins en nourriture, le «régime légumes bouillis » ne leur suffisait pas et ils finissaient par mourir de faim.

 

J'ai vu des mamans manger leur ration et celle de leur enfant. S'il y avait un deuxième service, l'enfant avait une part, les jour  il n'y avait pas de restes, l'enfant n'avait rien à manger. J'ai assisté à cette scène plus d'une fois. Voilà à quoi peuvent mener la misère, le désespoir et la faim ...

Je crois qu'il ne faut pas condamner ces mamans car c'est la situation extrême dans laquelle nous vivions qui 1eur faisait perdre tout instinct maternel.

Le château de Gramont

Accueil d'insertion du réfugié espagnol

1944
1944
2004
2004

Alboussière, 1945

L'école et la communion catholique



Témoigner, Exposer, Transmettre

Conférence et intervention scolaire de Maria sur son expérience du camp d'internement

A Maria
A Maria

Exposition scolaire par le témoignage du réfugié

A nos enfants